Après Versailles, Bordeaux, Nantes et Strasbourg, le tribunal administratif de Lyon rappelle à son tour dans son jugement du 27 juin dernier que la scolarité des élèves des classes à horaire aménagé est gratuite. Pourtant plusieurs collectivités maintiennent ou tentent de maintenir des droits d’inscriptions pour ces élèves au statut particulier, estimant que ces activités ne sont pas obligatoires et qu’elles ne s’inscrivent pas dans un cadre réglementaire établi en ce qui concerne leur financement.
Décryptage
La gratuité de l’enseignement public : un principe intangible
Comme le souligne Bernard Toulemonde, Inspecteur Général de l’Education nationale, dans son rapport de 20021, « la gratuité de l’enseignement a été une patiente conquête, un idéal et un combat dans la construction de l’Ecole de la République. C’est dire si ce thème reste un symbole puissant, intimement associé à la démocratisation de l’enseignement. Comme tous les symboles, il suscite volontiers les passions : on discute, on se dispute en son nom, surtout dans une période où le recours au droit et au juge tient lieu de régulation des rapports sociaux »
Inscrit dans la loi du 16 juin 18812, le principe de la gratuité de l’enseignement sera étendu au lycée à partir de 1930, aux classes préparatoires aux grandes écoles et à l’enseignement supérieur en janvier 1945, pour enfin figurer dans le préambule de la constitution du 27 octobre 19463.
La gratuité de l’enseignement durant la période de scolarité obligatoire sera confirmée par la loi Haby (2015) et inscrite aux articles L.132-14 et L.132-25 du Code de l’éducation.
Des conservatoires principalement à la charge des collectivités territoriales
Les établissements d’enseignement artistique sont financés très majoritairement par les communes ou leurs regroupements6 avec l’aide, non systématique et variable, de l’État et des départements et, plus rarement, des régions.
Contrairement aux trois grands principes qui permettent de définir le service public – continuité, mutabilité/adaptabilité et égalité –, celui de la gratuité n’est pas un principe général régissant le fonctionnement des équipements publics. Ainsi, une partie du coût de fonctionnement des conservatoires est répercutée sur les familles (entre 8% et 15% selon les établissements).
Fortement encouragées par l’État7 et entrant en ligne de compte lors de la procédure de classement des conservatoires par le ministère de la Culture, ces classes à horaires aménagées sont mises en place dans le cadre de conventions entre établissements. La décision d’ouverture de classes CHAM appartient, pour le premier degré, à l’inspecteur d’académie, directeur des services départementaux de l’éducation nationale (DSDEN), et pour le second degré, au recteur, après concertation avec le maire ou le président de l’établissement public de coopération intercommunale et avis du directeur régional des affaires culturelles8.
Il faut ici souligner l’absence de texte à caractère réglementaire précisant les conditions de financement de telles classes. Aucune mention de ce type ne figure dans l’arrêté du 31 juillet 2002 portant sur l’ouverture de ces classes ou dans la circulaire interministérielle du 2 août 2002, avec pour conséquence des interprétations divergentes des obligations respectives en matière de financement.
Des divergences d’analyse quant à la notion de gratuité
Eu égard au contexte budgétaire dégradé, certaines collectivités ne manquent pas de réduire ces classes CHAM ou CHAD à une simple question d’organisation d’emploi du temps des élèves concernés, leur permettant ainsi de suivre plus facilement une scolarité parallèlement au suivi d’une pratique artistique. Fortes de cette analyse, elles considèrent donc que ces élèves relèvent du droit commun et qu’ils doivent, selon le principe d’égalité, acquitter leurs droits de scolarité comme l’ensemble des autres élèves.
De son côté, le ministère de l’Éducation nationale rappelle que, d’une manière générale, “la gratuité porte sur l’ensemble des enseignements obligatoires et optionnels dispensés dans le cadre des programmes et horaires officiels, fixés réglementairement. En revanche, elle ne porte pas sur des activités supplémentaires, hors programmes, facultatives, offertes à l’initiative de l’établissement”9.
La question posée est donc de savoir si ces enseignements correspondent à la norme « standard », fixée par les textes réglementaires de l’Éducation nationale , ou s’ils peuvent recouvrir des normes particulières, ne relevant pas de la seule initiative de l’établissement scolaire ?
Saisi pour la cinquième fois, le juge administratif a répondu dans un jugement du 29 juin 2017 en indiquant que la scolarité des enfants des dispositifs à horaire aménagé est gratuite au motif “que l’enseignement artistique renforcé dont bénéficient les élèves des classes à horaires aménagés constitue un enseignement organisé et assuré dans le cadre de la scolarité obligatoire de ces élèves, alors même qu’il est dispensé avec le concours des conservatoires ou de certaines écoles de musique et de danse. Dès lors, ces élèves doivent bénéficier de la gratuité de la totalité des enseignements”.
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- La gratuité de l’enseignement, passé, présent et avenir, 1er trimestre 2002.
- « Il ne sera plus perçu de rétribution scolaire dans les écoles primaires publiques, ni dans les salles d’asile publiques ».
- La Nation garantit l’égal accès de l’enfant et de l’adulte à l’instruction, à la formation professionnelle et à la culture. L’organisation de l’enseignement public gratuit et laïque à tous les degrés est un devoir de l’Etat
- « L’enseignement public dispensé dans les écoles maternelles et les classes enfantines et pendant la période d’obligation scolaire définie à l’article L131-1 [de 6 à 16 ans] est gratuit ».
- « L’enseignement est gratuit pour les élèves des lycées et collèges publics qui donnent l’enseignement du second degré, ainsi que pour les élèves des classes préparatoires aux grandes écoles et à l’enseignement supérieur des établissements d’enseignement public du second degré ».
- « Les communes et leurs groupements organisent et financent les missions d’enseignement initial et d’éducation artistique de ces établissements », article L.216-2 du Code de l’éducation.
- La circulaire n°2008-059 du 29 avril 2008 (DGESCO) préconisait de multiplier par 4 le nombre de ces classes à échéance de quatre ans !
- Article 2 de l’arrêté 31 juillet 2002 sur les classes à horaires aménagés pour les enseignements artistiques renforcés destinés aux élèves des écoles et des collèges.
- B. Toulemonde in Rapport cité, p.10