31/08/2025
m.à.j le 01/09/2025
Publié le 29 août 2025 au Journal Officiel, le décret n°2025-857 du 27 août 2025 relatif aux diplômes nationaux d’études de danse, de musique et de théâtre vient clore un chapitre ouvert il y a plus de vingt ans. Difficile de ne pas voir dans ce décret l’énième avatar d’une longue série de réformes inachevées et l’expression d’un clivage insoluble entre deux logiques se déployant au sein des conservatoires : celle d’un service public de proximité financé par les communes ou leurs regroupements et celle d’une filière de pré-professionnalisation placée sous la tutelle de de l’État.
Une réforme en trompe-l’œil
À première vue, ce décret pourrait passer pour un simple toilettage terminologique, tout comme l’ont été les différents arrêtés — il faudra s’y reprendre à trois fois ! — modifiant l’arrêté du 15 décembre 2006 fixant les critères du classement des établissements d’enseignement public de la musique, de la danse et de l’art dramatique1 pour se mettre en conformité avec les dispositions qui découlent de la loi LCAP de juillet 20162. Mais derrière ces changements sémantiques se cachent en réalité les traces d’un parcours législatif et règlementaire chaotique qui aura duré près d’une décennie3.
Ce décret, présenté donc comme une simple mise en conformité avec l’article L. 216-2 du code de l’éducation, constitue en fait l’acte de décès officiel d’une réforme avortée qui, en 2004, avait conduit à la mise en place du cycle d’enseignement professionnel initial de musique, de danse et d’art dramatique (CEPI) destiné à approfondir la motivation et les aptitudes des élèves en vue d’une orientation professionnelle. Accessible à l’issue du second cycle, ce nouveau parcours débouchait sur un diplôme de valeur nationale, le diplôme national d’orientation professionnelle (DNOP), sorte de laisser-passer pour l’accès à l’enseignement supérieur dans le domaine artistique et culturel.
Du CEPI aux CEPES
S’il n’est plus nécessaire de revenir sur toutes les vicissitudes désormais bien connues de la loi relative aux libertés et responsabilités locales d’août 2004 dues, notamment, au refus des régions de financer ce cursus spécifique — la compensation financière de l’État étant jugée insuffisante —, il convient de rappeler avec force que dans l’avant projet de la loi LCAP, il n’était question, ni des établissements d’enseignement artistiques ni, a fortiori, d’un diplôme national. C’est à la faveur d’amendements présentés in extremis par le Gouvernement que l’enseignement artistique spécialisé fait son apparition dans le texte soumis aux députés, lors de la première lecture, en septembre 2015 ! Ce « retour » soudain de l’enseignement artistique dans le projet de loi est la conséquence directe du « retour de l’État dans le financement des conservatoires » au même moment.
Pour comprendre ces évolutions, il faut revenir de façon très synthétique sur les réflexions conduites alors par la Direction générale de la création artistique (DGCA) dans les années 2012/2013. Celles-ci avaient pour objectif de sortir de la situation de blocage du CEPI. C’est dans ce contexte que la notion de classes préparatoires s’est imposée assez rapidement, par homologie avec celles de l’enseignement supérieur (CEPES) qui accueillent, après le bac, des élèves souhaitant se préparer à entrer dans les formations accessibles uniquement par concours.
En bonne logique, ces préconisations trouvèrent leur place dans le projet de loi LCAP discuté au Parlement au travers d’une architecture qui avait le mérite de la clarté et de la cohérence : d’une part un parcours à visée amateure destiné à l’immense majorité des élèves parvenant au terme de leurs études avec, à la clé, un certificat d’études musicales, chorégraphiques ou théâtrales (CEM/CEC/CET) et, d’autre part, un parcours à visée professionnelle, qui prend alors le nom d’« enseignement préparant à l’entrée dans les établissements d’enseignement supérieur de la création artistique dans le domaine du spectacle vivant ». L’objectif visé par le ministère est de permettre la mise en place d’une véritable offre publique préparant à l’enseignement supérieur sur l’ensemble du territoire national avec, comme conséquence très probable mais hélas non explicitée par la tutelle, une réduction du nombre d’établissements qui seront habilités à délivrer cet enseignement préparatoire, en comparaison de la situation d’alors où l’ensemble des CRR et CRD étaient censés pouvoir proposer un 3e cycle spécialisé, conformément à l’arrêté de classement.
Un diplôme, sinon rien !
Mais qui dit « classes prépas » dit fin des diplômes ! En effet, le principe même d’une classe préparatoire est de… préparer à l’entrée dans un établissement d’enseignement supérieure, et non de délivrer un diplôme, quelle qu’en soit la nature. C’était sans compter l’attachement de la profession aux diplômes et autres récompenses d’une part, et sans avoir mesuré le risque bien réel que cette réforme était susceptible de faire peser, à terme, sur le cadre d’emplois des professeurs d’enseignement artistique (PEA), d’autre part. Notons que les parents d’élèves n’étaient pas en reste, et qu’une de leurs associations s’est également fortement mobilisée, exerçant une action de lobbying auprès des parlementaires afin de défendre le maintien des diplômes.
En conséquence, un amendement4 fut déposé en seconde lecture à l’Assemblée nationale et est ainsi apparu, comme sorti du chapeau, le diplôme national (DN) pouvant être délivré par tout type d’établissement d’enseignement artistique, qu’il ait ou non une classe préparatoire, l’objectif étant de permettre à toute personne qui le souhaite, de présenter ce diplôme, qu’elle ait eu ou non la possibilité de suivre un enseignement dans le cadre d’une classe prépa ; c’est ainsi que l’on peut lire dans l’exposé sommaire dudit amendement que celui-ci vise « à dissocier la délivrance du diplôme national du suivi des enseignements des classes préparatoires préparant à l’entrée dans les établissements d’enseignement supérieur de la création artistique dans le domaine du spectacle vivant », ajoutant qu’ « il est en effet essentiel de préserver la possibilité pour chaque conservatoire de délivrer un diplôme national qu’il ait ou non une classe préparatoire » !
Un diplôme pour faire quoi ?
Coincé entre un certificat à vocation amateur et à un enseignement préparant à l’entrée dans l’enseignement supérieur, on comprendra mieux l’impossible positionnement de ce diplôme et donc le questionnement de beaucoup quant à sa raison d’être ou sa valeur même. Contrairement à ce que l’on peut lire ou entendre ici ou là (y compris au niveau de la DGCA), il ne peut être question qu’il se substitue à l’ancien DNOP. En effet, dans la logique des réflexions conduites en 2012/2013, la substitution porte sur le CEPI, dont on peut en effet considérer qu’il recouvre les nouveaux enseignements préparatoires. Mais ceux-ci ne pouvant être diplômants, le DNOP a bien été abrogé et avec lui, la possibilité de suivre une formation professionnelle supérieure, comme en témoigne l’abrogation de l’article R. 361-12 du code de l’éducation par le décret du 27 août qui disposait que « [ce] diplôme ouvr[ait] à ses titulaires la possibilité de suivre une formation professionnelle supérieure. » Telle est bien, du reste, la principale disposition de ce décret, laquelle est largement passée inaperçue durant les différentes phases de présentation du texte aux différents partenaires.
Mais tout ceci est parfaitement logique puisqu’il revient désormais aux classes prépas d’offrir aux étudiants — désormais pleinement reconnus comme tels — cette possibilité de suivre une formation professionnelle supérieure.
La question qui demeure est donc bien celle de la valeur de ce DN qui ne repose sur aucun fondement et dont on peine à trouver dans ce décret une finalité précisément définie. On notera par ailleurs que malgré son intitulé, ce diplôme national ne bénéficie pas d’une inscription au répertoire national des certifications professionnelles (RNCP). Tout comme le DEM, le DEC et le DET avant lui, il reste donc un diplôme d’établissement placé sous le contrôle de l’État et sans véritable statut dans le paysage des certifications professionnelles. En outre, le décret ne dit rien d’une éventuelle articulation entre ces nouveaux diplômes et les « enseignements préparatoires à l’entrée dans les établissements d’enseignement supérieur » prévus par l’article L. 216-2, et pour cause : ces deux dispositifs coexistent dans un même article de loi sans qu’il ne soit possible de clarifier leurs relations puisque le choix de leur mise en place relève de l’initiative des collectivités locales et que l’un d’entre eux seulement — les enseignements préparatoires — requiert un agrément de l’État. Certains établissements pourront donc proposer des DNEM, DNEC et DNET alors qu’ils ne possèdent pas d’enseignements préparatoires, et d’autres voir leurs « classes prépas » agréés par l’État, mais sans pour autant organiser de diplôme national.
Pour ajouter à la confusion, on notera que ce cycle est qualifié de « cycle diplômant » dans l’arrêté de classement, de « cycle menant au diplôme national en danse, musique et théâtre » dans le schéma d’orientation et enfin de « cycle préparatoire au diplôme national » dans le décret du 27 août ! Une telle imprécision dans l’usage des termes interroge fortement, à moins qu’elle ne soit la conséquence de l’imbroglio dans lequel nous nous trouvons aujourd’hui.
Quid des DEM et DET ?
Comme en dispose la partie législative du code de l’éducation, les établissements d’enseignement public de la musique, de la danse et de l’art dramatique sont reconnus de plein droit et ils ont pour objet « d’apporter des connaissances théoriques et de donner la maîtrise des pratiques artistiques, notamment en vue d’un exercice professionnel »5. Les titres et diplômes délivrés par ces établissements sont homologués dans les conditions définies au Ier chapitre du titre VI du livre III de ce code. « Ils permettent à leurs titulaires de participer à des tâches d’enseignement et, selon des modalités fixées par les statuts particuliers des fonctionnaires, de se porter candidats aux concours d’accès à la fonction publique6 ». Tel est le cas du DEM et du DET7 qui permettent, avec toute la problématique que l’on sait …8, l’accès au premier grade du cadre d’emplois des assistants territoriaux d’enseignement artistique (ATEA).
Ces deux diplômes ont-il vocation à disparaître ? le DNEM et le DNET vont-ils, pour le coup, de substituer à eux afin de permettre l’accès à ce premier grade d’assistants qui « assistent » ? Ces questions importantes sont aujourd’hui sans réponses et elles ne semblent pas faire l’objet d’une prise en compte particulière par les services du ministère. Il faudra pourtant statuer sur le devenir des DEM et DET qui restent inscrits dans le décret portant statut particulier du 29 mars 2012, en tant que condition de titre pour l’accès au concours externe du fameux 1er grade.
Des ambiguïtés qui demeurent…
Le décret du 27 août 2025 referme un cycle ouvert il y a plus de vingt ans, sans pour autant lever toutes les ambiguïtés. Le « cycle préparatoire au diplôme national » qu’il institue reste encore largement indéfini, aussi bien dans son intérêt réel que dans son organisation concrète.
La mise en œuvre des trois diplômes nationaux d’études artistiques suscite déjà de vives inquiétudes. Les élus pointent une charge financière nouvelle, non compensée par l’État. Les équipes de direction redoutent des contraintes organisationnelles difficiles à assumer : regroupements obligatoires d’établissements pour les jurys, déplacements répétés des élèves et de leurs enseignants, responsabilités juridiques et logistiques laissées aux collectivités, jurys extérieurs désignés sous le contrôle des DRAC, sans garantie que la DGCA dispose des moyens humains pour accompagner un tel dispositif.
Pensé au niveau « national » sans que l’on comprenne vraiment pourquoi, ce diplôme ne fait d’alourdir considérablement la charge des CRR et des CRD, sans ressources nouvelles, et fragilise davantage encore un équilibre déjà précaire.
Reste cette question essentielle, que ce décret ne résout pas : à quelle finalité véritable répond ce nouveau diplôme ? Harmoniser, professionnaliser, ou simplement complexifier encore un peu plus la gestion d’établissement qui ont bien d’autres priorités aujourd’hui.
Tableau comparatif des modifications du Code de l’éducation
1. MODIFICATION DE L’INTITULÉ DE LA SECTION
Référence | Texte avant modification | Texte après modification (décret du 27 août 2025) |
Section 3 du chapitre Ier du titre VI du livre III | « Le cycle d’enseignement professionnel initial et les diplômes nationaux d’orientation professionnelle de musique, de danse et d’art dramatique » | « Le cycle préparatoire au diplôme national et les diplômes nationaux d’études artistiques de danse, de musique et de théâtre » |
2. ARTICLES REMPLACÉS (R. 361-7 À R. 361-9)
Article du Code de l’éducation | Texte avant modification | Texte après modification (décret du 27 août 2025) |
Article R. 361-7 | « Le cycle d’enseignement professionnel initial de musique, de danse et d’art dramatique est destiné à approfondir la motivation et les aptitudes des élèves en vue d’une orientation professionnelle. Ce cycle est assuré par les conservatoires classés par l’État. L’accès au cycle d’enseignement professionnel initial et son organisation sont définis par arrêté du ministre chargé de la culture. Le cycle d’enseignement professionnel initial est sanctionné par un diplôme national. » | I. – Dans chaque spécialité, un diplôme national sanctionne un cycle d’enseignement préparatoire assuré par les établissements mentionnés à l’article L. 216-2 : 1° Le diplôme national d’études de danse ; 2° Le diplôme national d’études de musique ; 3° Le diplôme national d’études de théâtre. II. – Outre la spécialité, l’intitulé du diplôme peut préciser une discipline, un domaine et une option. |
Article R. 361-8 | « Le cycle d’enseignement professionnel initial est accessible aux élèves ayant achevé le second cycle des conservatoires classés tel que défini par les schémas nationaux d’orientation pédagogique et aux personnes présentant un dossier attestant d’un niveau équivalent. L’admission est décidée par un jury après étude du dossier personnel du candidat et réussite à l’examen d’entrée. » | Les diplômes nationaux sont délivrés aux élèves ayant satisfait à l’évaluation continue et à une évaluation terminale devant un jury. Dans chaque spécialité, le cycle d’enseignement préparatoire au diplôme national est organisé, conformément au schéma national d’orientation pédagogique défini par l’État en application des dispositions de l’article L. 216-2, en vue de l’acquisition des savoir-faire nécessaires à une pratique autonome, ainsi que d’une culture artistique confirmée dans la spécialité concernée. Un arrêté du ministre chargé de la culture définit, pour chaque diplôme national : 1° Les conditions d’accès au cycle préparatoire au diplôme national notamment l’organisation de l’examen d’entrée et la nature des épreuves ; 2° L’organisation pédagogique de la formation et la nature des enseignements dispensés ; 3° Les conditions d’obtention du diplôme, notamment les modalités de l’évaluation continue des élèves, la nature des épreuves terminales et la composition des jurys. |
Article R. 361-9 | « Le cycle d’enseignement professionnel initial dispense un enseignement permettant à l’élève d’acquérir le savoir‑faire nécessaire à une pratique artistique confirmée et une culture musicale, chorégraphique ou théâtrale. » | Le diplôme national est délivré, sous le contrôle des autorités compétentes de l’État, par l’autorité responsable de l’établissement au sein duquel l’élève a suivi le cycle préparatoire au diplôme national. |
3. ARTICLES ABROGÉS
Article du Code de l’éducation | Texte abrogé | Texte après modification |
Article R. 361-10 | « Les diplômes nationaux qui sanctionnent le cycle d’enseignement professionnel initial sont : – le diplôme national d’orientation professionnelle de musique ; – le diplôme national d’orientation professionnelle de danse ; – le diplôme national d’orientation professionnelle d’art dramatique. Ces diplômes sont délivrés à compter de l’année 2009. » | Article supprimé |
Article R. 361-12 | « Le diplôme est délivré aux élèves ayant satisfait à l’évaluation continue et à l’épreuve d’évaluation terminale devant un jury. Le diplôme ouvre à ses titulaires la possibilité de suivre une formation professionnelle supérieure. Les modalités de l’évaluation des cursus et les conditions d’obtention des diplômes nationaux d’orientation professionnelle sont définies par arrêté du ministre chargé de la culture. » | Article supprimé |
Cet article est mis à disposition selon les termes de la licence http://creativecommons.org/licenses/by-nc-sa/4.0/deed.fr (Attribution / Pas d’utilisation commerciale / Partage dans les mêmes conditions)
- L’arrêté de classement de 2006 ayant été finalement abrogé et remplacé par celui du 19 décembre 2023 afin d’effacer toute référence au CEPI et d’introduire, non sans mal, un nouveau « cycle diplômant ».
- LOI n° 2016-925 du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine.
- Plusieurs billets de ce blog permettre de suivre les évolutions des textes et prises de position tout au long de cette période :
– Les incidences de la loi du 13 août 2004 sur les établissements publics d’enseignement artistique
– Classes prépas, diplôme national : quelle architecture pour le 3ème cycle spécialisé ?
– DNED, DNEM, DNET, de nouveaux diplômes nationaux d’études artistiques !
– Classes prépas – le décret
– Financement des établissements d’enseignement artistique par l’État : chronique d’un retour annoncé et attendu, mais … ?
– Les sénateurs optent pour un retour renforcé des régions dans les conservatoires
– Réengagement financier de l’État – Question orale sans débat
– … - Amendement AC 211.
- art. L361-2
- art. L361-3
- La question ne se pose pas dans les même termes pour la danse, profession qui est réglementée (voir chapitre II du titre VI du livre III de la partie législative du code de l’éducation.
- Voir billet du 23/08/2025
1 Comments
Merci Nicolas pour cette nouvelle analyse de la situation
Ronzon Laurent