Réseaux sociaux : liberté d’expression et devoir de réserve du fonctionnaire

20/08/2017
m.à.j le 14/12/2018

On le sait, la montée en puissance des réseaux sociaux rend délicate l’appréciation des obligations des fonctionnaires quant à leur expression publique et il est loin le temps du fonctionnaire-sujet que Michel Debré décrivait — c’était au siècle dernier — comme “un homme de silence, qui sert, travaille et se tait” !

Pour autant, la mise en ligne de ce blog a été source d’interrogation quant aux obligations déontologiques du fonctionnaire que je suis car, bien que m’exprimant en mon nom propre, une certaine prudence s’impose du fait de ma situation d’agent public.

Un arrêt récent1 du Conseil d’Etat rappelle que les agents publics restent bien soumis à leurs obligations déontologiques sur les blogs et réseaux sociaux. En effet, si leur liberté d’opinion — et non pas leur liberté d’expression — demeure garantie par la loi, ils doivent faire preuve de discrétion professionnelle. De même s’impose à eux un devoir (ou obligation) de réserve, une notion que le législateur n’a pas souhaité inscrire dans la loi car si la liberté d’opinion est de caractère général, la liberté d’expression prend différentes significations en fonction des circonstances et de la place du fonctionnaire dans la hiérarchie. Ainsi, un agent qui occupe une place élevée dans l’administration devra faire preuve d’une vigilance accrue en la matière. C’est donc à la jurisprudence de trancher tous les cas d’espèce, de façon progressive.

Obligation de discrétion professionnelle et neutralité

Peu d’ambiguïté, en revanche, quant à cette obligation, puisque qu’aux termes de la loi2 (également applicable aux agents contractuels), “les fonctionnaires sont tenus au secret professionnel dans le cadre des règles instituées dans le code pénal”. Ils doivent aussi faire preuve de “discrétion professionnelle pour tous les faits, informations ou documents dont ils ont connaissance dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de leurs fonctions”. Un agent public n’est pas autorisé à diffuser, de sa propre initiative, des informations concernant l’activité de son service si ces informations sont obtenues par son exercice professionnel.

Ce qu’a précisément rappelé le Conseil d’État en mars dernier, en stipulant que “manque à son obligation de discrétion professionnelle le fonctionnaire qui divulgue sur Internet, au moyen d’un blog personnel et de comptes ouverts à son nom dans trois réseaux sociaux, des éléments détaillés et précis sur les domaines d’activité de la police municipale dans lesquels il intervenait, en faisant, en outre, systématiquement usage de l’écusson de la police municipale. Les éléments ainsi diffusés par M. X. étaient de nature à donner accès à des informations relatives à l’organisation du service de la police municipale, en particulier des dispositifs de vidéosurveillance et de vidéo verbalisation mis en œuvre dans la commune.”

Les agents publics ont également l’obligation de respecter la neutralité du service public. Bien entendu, en tant que citoyens, ils disposent des mêmes droits d’expression de leurs opinions que tout un chacun, mais leurs convictions ne peuvent empiéter sur la sphère professionnelle.

Obligation de réserve

Non défini par la loi mais fruit d’une longue construction jurisprudentielle, le devoir de réserve s’impose néanmoins à tous les agents publics, qu’ils soient fonctionnaires ou agents contractuels3 . Il pèse sur eux d’autant plus lourdement qu’ils sont dans une fonction spécifique (magistrats, militaires, policiers, …) et/ou dans une position hiérarchique élevée. Inversement un mandat syndical autorisera des critiques parfois vives.

Toutefois, cette obligation de réserve ne saurait être conçue comme une interdiction pour tout fonctionnaire d’exercer les droits élémentaires du citoyen : liberté d’opinion et, son corollaire nécessaire dans une démocratie, la liberté d’expression. Ces droits sont d’ailleurs, eux, expressément reconnus par l’article 6 de la loi précitée.

Un fonctionnaire peut s’exprimer, mais de façon modérée et en ne mettant pas en cause, par exemple, le principe de loyauté à l’égard de son administration, notamment en ce qui concerne les orientations et décisions politiques de la collectivité dont il dépend.

De même, un enseignant ou un directeur qui réalise des publications et interviews ès qualités, outre les règles habituelles, veillera à faire preuve d’une certaine réserve à l’égard notamment des institutions éducatives ou de la collectivité qui l’emploient.

En conclusion, il apparait que la loi et la jurisprudence permettent de définir assez clairement les limites de la liberté du fonctionnaire et que ses capacités à s’exprimer, fusse de façon critique (mais de façon responsable et avec éthique !), sont bien réelles.

On observe parfois une sur-interprétation restrictive de la loi Le Pors, laissant entendre que toute expression publique présenterait un risque de sanction pour le fonctionnaire, avec comme conséquence le recours à l’anonymat dont on peut mesurer le côté particulièrement déresponsabilisant et ravageur quant à la “tenue” des débats et des échanges sur de nombreux réseaux sociaux.

Responsabilité, exigence et transparence peuvent permettre le plein exercice de cette liberté d’expression que le fonctionnaire-citoyen peut mettre au service l’intérêt général !

  1. CE, 20 mars 2017, n° 393320
  2. Loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, dite “loi Le Pors”
  3. Conseil d’État, N° 97189, 28 juillet 1993

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