Concours d’accès à la FPT, la question des “reçus-collés”

17/11/2017
L’organisation des concours d’accès au grade d’assistant territorial d’enseignement artistique (ATEA) en 2018 et la constitution de listes d’aptitude dont certaines risquent d’être pléthoriques du fait de la période de latence avec la dernière session (2011) posent incidemment la question des « reçus-collés », ces lauréats de concours qui ne parviennent pas à être recrutés par une collectivité territoriale dans les délais impartis.

Bien que ne relevant pas d’un vocabulaire administratif établi, le « reçu-collé » se définit comme le lauréat d’un concours de la fonction publique territoriale qui, au terme de sa présence légale sur la liste d’aptitude, n’a pu être recruté sur l’emploi correspondant au concours qu’il a pourtant réussi.

Ce phénomène récurrent a des causes multiples dont celles du décalage entre l’offre et la demande qui est directement lié aux difficultés qu’éprouvent les collectivités à mettre en place une gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEEC) digne de ce nom, des aléas nombreux entourant la détermination du nombre de postes ouverts aux concours par les Centres de gestion (Cdg), ou encore des comportements des candidats (manque de mobilité, abandon de la recherche ou attente de nomination dans la collectivité où ils travaillent déjà sous un grade inférieur).

Plus fondamentalement, il résulte de la délicate mise en adéquation des principes constitutionnels d’égalité d’accès aux emplois publics et de libre administration des collectivités territoriales à quoi s’ajoute aujourd’hui un contexte financier très dégradé.

Selon un rapport de l’Inspection générale de l’administration publié en 2012, la filière culturelle dans son ensemble comptait 13,82% de reçus-collés au terme de l’inscription sur liste d’aptitude, avec une moyenne de moins de 10% pour l’ensemble de la FPT.

C’est pour tenter d’améliorer cette situation que la loi relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires du 20 avril 2016 prévoit l’allongement de la durée de validité des listes d’aptitude de 3 à 4 ans, voire jusqu’à la date d’organisation du nouveau concours si aucun concours n’a été organisé dans le délai imparti. De même, un suivi renforcé des reçus-collés doit désormais être mis en place par l’autorité organisatrice du concours jusqu’à leur recrutement.

La liste d’aptitude

Chaque type de concours donne lieu à une liste d’aptitude, de valeur nationale. Y figurent les candidats ayant été déclarés aptes par le jury et qui sont classés par ordre alphabétique, type de concours, grades et disciplines, suivant les statuts particuliers de chaque cadre d’emplois. Ces listes font l’objet d’un arrêté transmis au Préfet par les Cdg.

Contrairement à la fonction publique de l’Etat où les listes d’aptitude débouchent sur une nomination, cette inscription ne vaut pas recrutement. Il appartient donc aux candidats de réaliser eux-mêmes les recherches de nomination, à l’exception du cas particulier d’agents déjà en poste en tant que contractuels. Dans ce cas ils sont, au plus tard au terme de leur contrat, nommés en qualité de fonctionnaires stagiaires1.

La procédure de recensement des postes

L’établissement des listes d’aptitude reposent sur une estimation des besoins en recrutement fournie par les collectivités locales elles-mêmes. Pour autant, l’expérience démontre que ce décompte est loin d’être fiable et cela pour plusieurs raisons.

Peu efficaces en terme de GPEEC, bon nombre de collectivités sont dans l’incapacité d’anticiper l’évolution de leurs propres effectifs. De même, l’obligation de déclaration de vacance d’emplois ne constitue pas une base fiable dont la seule addition fournirait le nombre de postes à ouvrir aux concours puisque celle-ci n’est pas une garantie de recrutement, la collectivité pouvant y renoncer sans avoir à s’en justifier. Par ailleurs, une collectivité peut vouloir donner la priorité à une promotion interne ou à la nomination d’un lauréat de concours interne exerçant déjà dans ses services.

Enfin, certains employeurs préfèrent ne pas déclarer de besoin afin de pouvoir garder un contractuel qui leur donne satisfaction. D’autres, au contraire, déclarent une intention de recruter afin d’offrir une chance supplémentaire à ce contractuel qui pourrait ainsi être titularisé sur place mais, très souvent, si cet agent échoue, aucun recrutement n’est alors effectué, ce qui créer mécaniquement un « reçu-collé » sur la liste d’aptitude du concours.

Des recrutements « hors statut » de plus en plus fréquents

Contrairement au statut général qui précise que les emplois permanents sont occupés par des fonctionnaires, c’est désormais hors du statut que s’effectuent la majorité des recrutements dans la fonction publique et cela sur ses trois versants2.

Initiée en 2005 à l’occasion d’une transposition en droit français de diverses dispositions du droit communautaire relative à la fonction publique, le recours aux agents non-titulaires se trouvera conforté par la loi du 12 mars 2012 relative à l’accès à l’emploi titulaire et à l’amélioration des conditions d’emploi des agents contractuels dans la fonction publique. Bien qu’ayant pour objet de mieux encadrer le recours aux contractuels, cette loi entérine, de fait, un système d’emploi dual qui organise l’inégalité entre agents du secteur public à travers deux modes de régulation de l’emploi et des carrières.

Par ailleurs, la baisse drastique des dotations de l’Etat aux collectivités locales tout comme les appels à la « modernisation » du service public ne manqueront pas d’encourager des pratiques de recours structurel à la précarité dans l’emploi public dans les années à venir.

L’impossible adéquation entre principe d’égalité d’accès et principe de libre administration

C’est donc un fait, l’emploi contractuel (CDD comme CDI de droit public) s’inscrit fermement dans une forme de normalisation réglementaire, mais sans que ne soit, pour autant, réinterrogé le principe constitutionnel d’égalité d’accès aux emplois publics.

Les vagues successives de dispositifs de résorption de l’emploi précaire mises en place depuis de nombreuses années (et qui ont concerné beaucoup d’enseignants de la filière culturelle !) en sont une parfaite illustration. Organisées le plus souvent de façon interne aux collectivités ou au niveau des Cdg dont elles dépendent, les procédures de régularisation consistent en un unique entretien qui vise à vérifier l’aptitude des candidats à exercer les missions du cadre d’emplois ou du corps auquel la sélection professionnelle leur donne accès3.

L’expérience le montre, ces procédures sont très peu sélectives, ce qui n’a rien de choquant puisque, dans l’immense majorité des cas, il s’est agi de régulariser la situation d’enseignants donnant entière satisfaction à leur employeur, puisque reconduits de CDD en CDD des années durant et étant, par ailleurs, détenteurs du titre correspondant à leur grade (diplôme d’Etat ou Certificat d’aptitude).

De telles procédures sont en parfaite adéquation avec le principe constitutionnel de libre administration des collectivités territoriales qui stipule que celles-ci « s’administrent librement par des conseils élus et disposent d’un pouvoir réglementaire pour l’exercice de leurs compétences », y compris, bien sûr, pour le recrutement de leurs propres agents.

Mais il faut ici rappeler l’existence d’un autre principe constitutionnel, celui de l’égal accès de tous aux emplois publics4.

Cet objectif d’égalité explique que le concours et son principe d’unicité tel que nous le connaissons soit aujourd’hui encore la voie d’accès de droit commun à la fonction publique.

Pour autant, la coexistence désormais inscrite dans la loi de deux « statuts » — l’un d’agent titulaire et l’autre d’agent contractuel de droit public — bouscule la délicate mise en adéquation de ces deux principes constitutionnels.

Ne pourrait-on dès lors s’interroger comme le font les auteurs du rapport ci-dessus mentionné5 sur la nécessité du maintien d’un concours d’accès pour certains cadres d’emplois comme, notamment, ceux des enseignants, au vu des exigences propres au diplôme d’Etat ou au Certificat d’aptitude requis pour l’exercice de cette profession ? En effet, on ne voit pas bien quelle valeur ajoutée apporte l’épreuve

d’entretien du concours externe par rapport à l’entretien que devra de toute façon repasser le candidat lors de son recrutement définitif.

Afin de garantir le principe d’égalité de traitement pour tous, il suffirait que les Cdg rendent accessibles les créations ou vacances de postes dans un espace numérique commun6. Les candidats concernés n’auraient alors qu’à faire acte de candidature et, le cas échéant, à passer une unique épreuve d’entretien avec la collectivité locale cherchant à recruter afin qu’elle puisse s’assurer de la présentation et de la motivation du candidat dont la qualification professionnelle aura été amplement consacrée par son diplôme et ce, quel qu’en soit le mode d’obtention : formation initiale, validation de l’expérience (VAE) ou reconnaissance des diplômes (RED).

Ainsi seraient préservés les deux principes fondamentaux d’égalité des candidats et de libre administration des collectivités locales.

A charge pour le contrôle de légalité de s’assurer de la conformité des actes pris en matière de recrutement de fonctionnaires et d’agents contractuels tout comme de renouvellement de leurs contrats lorsque ceux-ci sont à durée déterminée. Un bon moyen également pour prévenir les tentations clientélistes ou les recrutements de complaisance.

2018, une situation d’exception pour les ATEA

Du fait des tristes avatars qu’ont pu connaître les décrets et arrêtés propre à cette filière, aucun concours d’accès au cadre d’emplois des ATEA n’a pu être organisé depuis 2011.

Selon une étude du CNFPT publiée en 2014 et portant précisément sur cette année 20117,les assistants spécialisés d’enseignement artistique étaient alors au nombre de 10 067, dont 3 338 agents non-titulaires, soit plus d’un tiers de l’effectif. Certes, depuis cette date, un certain nombre d’enseignants auront pu bénéficier des dispositions de résorption de l’emploi précaire8, mais on sait que, par ailleurs les collectivités ont continué à recruter principalement sur ce grade. Il est donc plus que probable que le nombre de contractuels reste très important, aux alentours de 3000 agents.

Les recensements des postes vacants ont été effectués au courant des mois de mai et juin. Ils font état de 2415 postes ouverts pour le grade d’assistant territorial d’enseignement artistique principal et de 578 postes pour celui d’assistant territorial d’enseignement artistique. En valeur absolue et sur l’ensemble du cadre d’emplois, le compte semble donc y être (si l’on ne prends pas en compte, à ce stade, la question de la confusion portant sur le 1er garde…)9.

Par ailleurs, chaque année, des cohortes de jeunes diplômés d’état issus des établissements d’enseignement supérieur dans le domaine du spectacle vivant se retrouvent sur le marché du travail.

Le nombre de candidats qui passeront effectivement les différentes épreuves propres aux trois types de concours (externe, interne et réservé) risque donc d’être très important !

Enfin, et s’agissant d’un concours, il faudra que les candidats soient à la hauteur des « attentes » des membres des jurys qui comprennent trois collèges (élus locaux, fonctionnaires territoriaux, personnalités qualifiées). Or, ces attentes ou exigences ne font l’objet d’aucune définition précise au niveau national. L’expérience montre que les dynamiques peuvent être très différente d’un jury à l’autre, tel membre étant attaché à la (re)vérification10 de savoirs académiques, tel autre mettant au contraire l’accent sur les compétences nécessaires à l’exercice du métier dans le contexte territorial d’aujourd’hui. Il existe bien des « notes de cadrage », en général disponible lors de l’inscription au concours, mais il est précisé qu’elles « ne revêt[ent] pas un caractère réglementaire ».

Pour mémoire, le dernier rapport sur l’état de la fonction publique, publié en 2014, fait le point sur les recrutements par voie interne dans la territoriale en 2012. Sur 11 874 candidats présents aux concours de catégorie B, 1 723 agents ont été admis. Ces concours sont donc particulièrement sélectifs.

Quelle sera alors la position des collectivités qui, ayant déclaré les postes vacants, verront leurs propres candidats échouer à ce concours ?

Feront-elles le choix, à l’échéance nouvelle du contrat, de recruter un fonctionnaire et donc, de se séparer de leur contractuel qu’elles emploient depuis des années, faisant ainsi jouer le principe d’égalité d’accès ou, au contraire, s’arrangeront-elles pour le maintenir en poste jusqu’au prochain concours au motif du principe de libre administration ? Quelle sera, enfin, la position de l’Etat via le contrôle de légalité ?

Ces questions restent entières à ce jour !


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  1. Loi du 26 janvier 1984, article 3-4-I
  2. La part des contractuels est particulièrement importante dans la filière culturelle de la FPT, près de 27%, selon la DGCL et le rapport du député Pierre Morel de 2012.
  3. Article 13 du décret du 22 novembre 2012 pris pour l’application du chapitre II du titre Ier de la loi du 12 mars 2012 relative à l’accès à l’emploi titulaire.

  4. Article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et l’article 1er de la Constitution
  5. Ibid. p. 53
  6. Voir à ce sujet l’article 41 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale modifié par l’ordonnance n°2017-543 du 13 avril 2017 – art. 2 (V).
  7. www.cnfpt.fr/sites/default/files/les_cadres_demplois_de_la_fpt.pdf
  8. Loi n° 2016-483 du 20/04/2016 relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires a apporté deux modifications importantes à la loi n° 2012-347 du 12/03/2012 relative à l’accès à l’emploi titulaire et à l’amélioration des conditions d’emploi des agents contractuels dans la fonction publique.
  9. voir billet du 24/08/2017  : “ATEA 1er grade, une confusion dans le recensement des postes ?”
  10. Savoirs qui ont été validés par le diplôme d’état.

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