Arrêté de classement [#1] ♦ 2015 – 2020

29/12/2023 (modifié le 30/12/2023)

L’arrêté du 19 décembre 2023 fixant les critères du classement des établissements d’enseignement public de la musique, de la danse et de l’art dramatique vient remplacer celui du 15 décembre 2006, lequel avait subit quelques modifications en 2021 et en 2022 pour tenter, non sans mal déjà, de se mettre en conformité avec la Loi du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine (LCAP).
Comprendre les évolutions de ce texte nécessite un petit retour en arrière.

Bien que l’action culturelle ait toujours constitué un domaine partagé entre l’État et les collectivités territoriales, il n’échappe à personne que les établissements d’enseignement artistique relèvent avant tout de la responsabilité de ces dernières. En effet, la majeure partie du financement des conservatoires est assurée par les communes ou leur regroupement ainsi que, dans une moindre mesure, par les départements et, plus modestement encore, par quelques régions.

Pour autant, conscient de l’enjeu que représentent ces établissements en termes de démocratisation, du fait du maillage territorial qu’ils constituent, à l’instar des bibliothèques, le ministère de la Culture a toujours veillé à soutenir — assez modestement, il est vrai — certains d‘entre eux et à exercer un contrôle pédagogique sur les 382 établissements dont il a prononcé ou renouvelé le classement. CNR1 et ENM2 qui deviendront en 2004 CRR3 et CRD4 ont ainsi bénéficié de subsides de l’État selon des clés de répartition assez obscures et pouvant aller parfois jusqu’à couvrir 8% de leur budget de fonctionnement.

L’impossible mise en œuvre de la Loi du 13 août 2004 du fait du blocage des régions quant au financement du CEPI5, interdira tout transfert de ces crédits alloués aux seuls CRR et CRD6. Ils continueront néanmoins à être versés aux collectivités concernées jusqu’en 2015, avant une extinction quasi-totale en 2016, signe tangible d’une évolution significative de la politique de l’État en matière d’enseignement artistique et d’un recentrage de son action limité au strict périmètre défini par la Loi Liberté et responsabilités locales de 2004 : procéder au classement des établissements, définir les qualifications exigées du personnel enseignant de ces établissements et assurer l’évaluation de leurs activités ainsi que de leur fonctionnement pédagogique.

Une position que viendra confirmer Sylviane Tarsot-Gillery, directrice de la création artistique, en février 2019, lors de son audition sur les conservatoires organisée par la commission de la Culture du Sénat :

« Il est vrai que les textes législatifs ont été appliqués de manière différenciée sur le territoire. Le retrait massif de l’État il y a quelques années s’explique par la direction qui avait été prise d’un transfert complet de compétences vers les collectivités territoriales. »

L’assèchement total des crédits de l’ancienne action 3 « Soutien aux établissements d’enseignement spécialisé » du programme 224 qui consistaient exclusivement en des dépenses d’intervention déconcentrées, au titre de l’aide apportée par l’État aux 36 conservatoires à rayonnement régional et aux 101 conservatoires à rayonnement départemental7 conduira François de Mazières (député UMP des Yvelines) à réagir par le biais d’une question orale à l’attention de la ministre de la Culture en mai 2015. Dans sa réponse et faisant le constat que la loi de 2004 était restée inappliquée, Fleur Pellerin confirmera que l’État a en effet recentré son action autour de ses compétences légales et réglementaires, et qu’il s’est donné pour objectif de réformer et de structurer son enseignement supérieur dans les conservatoires. Elle annoncera alors également que l’ensemble des conservatoires classés (CRC-CRI, CRD et CRR) sont désormais éligibles aux crédits liés à l’éducation artistique et culturelle, qui est une priorité pour le ministère de la culture et de la communication.

Au travers de ce retour (très partiel) dans leur financement, l’État indique vouloir refonder son engagement afin de placer les conservatoires au cœur de ses politiques prioritaires en faveur de la jeunesse, de la diversité artistique et culturelle et de l’égalité des territoires. Ce réengagement financier devait alors également constituer une opportunité pour redéfinir les priorités de l’enseignement artistique spécialisé public et réviser les critères d’intervention de l’État, tout en refondant les procédures de classement des établissements d’enseignement artistique.

La loi relative à la liberté de création, architecture et patrimoine du 7 juillet 2016 est le parfait reflet de la difficulté qu’éprouve la Direction générale de la création artistique (DGCA) à concilier, d’une part, le suivi de la capacité de ces établissements à alimenter l’enseignement professionnel par la mise en œuvre de cycles d’études pré-professionnalisants, et d’autre part, l’accompagnement de ces mêmes conservatoires dans leurs rôles essentiels en matière d’éveil et découverte, de développement des pratiques artistiques en amateur et d’actions conduites dans le domaine de l’éducation artistique et culturelle.

À cet égard, il est intéressant de rappeler que l’idée d’une séparation de ce suivi a été envisagé en 2015 en confiant, précisément, le suivi de la pré-professionnalisation à la sous-direction de l’emploi, de l’enseignement supérieur et de la recherche, alors que l’ensemble du champ de l’enseignement initial, de l’éducation artistique et culturelle et de la pratique amateur serait placé sous l’égide du bureau des pratiques et de l’éducation artistiques et culturelles9.

Pour bien comprendre la situation actuelle, il faut tout d’abord rappeler que dans l’avant-projet de Loi déposé par le Gouvernement et aussi étrange que cela puisse paraître, il n’était aucunement fait mention des conservatoires. Il faudra attendre son examen en premier lecture à l’Assemblée pour que soit introduit, par amendement, un article dédié (article 17A), venant modifier l’article L 261.2 du code de l’éducation. C’est dire à quel point les conservatoires étaient alors totalement sortis des préoccupations du ministère.

Le CEPI n’ayant pu être mis en place du fait du refus de sa prise ne charge financière par les régions, l’article 17A tentera de contourner cette difficulté en lui substituant la possibilité de proposer un enseignement préparant à l’entrée dans les établissements d’enseignement supérieur de la création artistique dans le domaine du spectacle vivant — les fameuses « classes prépas » — dont l’organisation revient, en principe, aux régions, et dont elles « peuvent » — et non plus « doivent » — participer à son financement. À ce jour, aucune région ne semble avoir pris cette « compétence » qui nécessiterait, soit dit en passant, que l’État mobilise des crédits dans le cadre d’un transfert financier.

À ce stade de la discussion parlementaire, le « schéma » des études était le suivant : d’une part, un cursus d’études et de pratiques à visée amateur pouvant être sanctionnés par des certificats d’études — il n’est alors pas question de diplôme et encore moins de diplôme national — et, d’autre part, la mise en place de « classes prépas » (par nature non diplômantes) pour les établissements qui le souhaitent10.

Mais du fait de points de désaccords persistants entre les deux assemblées sur l’ensemble du texte, une commission mixte paritaire a été mise en place avec pour mission comme c’est son rôle, d’aboutir à la conciliation des deux assemblées sur un texte commun. C’est à la faveur d’un amendement déposé dans le cadre de ces ultimes discussions qu’a été ajoutée la possibilité, pour les établissements qui le souhaitent, de proposer un diplôme national (DN) dans les trois spécialités que sont la danse, la musique et le théâtre. Cet amendement donne alors la possibilité pour chaque conservatoire de délivrer un diplôme national, qu’il possède ou non de classes préparatoires, l’objectif étant de garantir, à toute personne qui le souhaite, la possibilité de présenter ce diplôme, qu’elle ait suivi ou non ces enseignements préparatoires.

Voilà qui permet de mieux comprendre les difficultés actuelles quant au positionnement de ce diplôme, qui plus est, dans un cursus qui, ne pouvant plus être exclusivement diplômant — les collectivités étant libres de mettre en place ou non ce DN —, a pris le nom de Parcours études. Le schéma national d’orientation pédagogique (SNOP) s’évertuera à contourner le problème en ayant recours aux termes de cycle menant au diplôme national avec, cependant, une unique mention pour le cycle diplômant11. En revanche, la nouvelle version de l’arrêté de classement ne fait pas référence à l’appellation de cycle menant au diplôme national, mais distingue un troisième cycle de formation des amateurs, d’une part et un cycle diplômant, d’autre part.

Comprennent qui pourra !

À noter, et c’est important pour la suite, l’ajout par cette Loi LCAP dans les prérogatives de l’État, de la définition d’un schéma national d’orientation pédagogique dans le domaine de l’enseignement public spécialisé de la musique, de la danse et de l’art dramatique.

Les modifications apportées à l’arrêté de classement dans sa version du 19 décembre porteront, pour une bonne part, sur sa mise en adéquation avec les évolutions de l’article L 216-2 du code de l’éducation.

Une fois annoncé, en mai 2015, le retour financier (très partiel) de l’État dans le financement des conservatoires, encore lui fallait-il lui donner du sens. Ce qu’il fit, en mai 2016, au travers d’une note à l’attention directeurs et directrices régionales12des affaires culturelles. C’est dans ce texte que figurera l’une des toutes premières mentions faisant état de la mise en place d’une « concertation soutenue avec les professionnels et les collectivités territoriales qui aura pour objectifs une révision des critères de classements et des schémas d’orientation pédagogique, ainsi que la rédaction des conditions d’agréments des classes préparatoires« .

Dans une réponse à un parlementaire13, la ministre de la Culture indique qu’elle a décidé « d’ouvrir un vaste chantier de refondation, en collaboration avec les collectivités et les professionnels, pour pouvoir redéfinir les critères de classement, le cahier des missions des conservatoires et, plus largement, la place et le rôle de l’État dans le suivi et le financement des conservatoires. »

Enfin, dans un courriel en date du 4 juillet 2019, Sylviane Tarsot-Gillery rappelle que « la DGCA a engagé depuis plus de trois ans un important travail pour concevoir avec [les collectivités et les professionnels] le conservatoire de demain« , tout en annonçant que le principe d’une étude d’impact a été acté par la DGCA et le groupe de travail conservatoire du Conseil des collectivités territoriales pour le développement culturel (CCTDC).

« Refondation » — le mot n’est pas neutre — ou simple toilettage de quelques textes réglementaires pour se mettre en conformité avec l’article L 216.2 du code de l’éducation ? Les faits parlent d’eux-mêmes, aujourd’hui…

Ce qui est certain, c’est qu’entre l’automne 2015 et février 2020, les services du ministère, en tout premier lieu le bureau des pratique et de l’éducation artistique et culturelle, se sont lancés dans cette étude d’impact basée sur un échantillon d’établissements censé être représentatif :

  • Région Normandie : 16 CRC – 7 CRD – 2 CRR – 34 communes
  • Réunion : 1 CRR – 4 communes
  • Département de l’Aveyron : 1 CRD – 18 communes
  • Département du Jura : 2 CRC et 1 CRD – 5 communes
  • Département des Landes : 1 CRD – 16 communes
  • Agglomération de Saint Omer : 1 CRD – 12 communes
  • Agglomération toulonnaise : 1CRR – 15 communes

et selon un calendrier prévisionnel validé :

  • Automne 2015 : Première consultations ;
  • 2016-2017 : Groupes de travail (GT) sur les textes réglementaires
  • Été 2018 : Consultations portant sur les évolutions critères de classement ;
  • 13 février 2019 : Audition sur les conservatoires par la commission de la Culture du Sénat
  • 14 juin 2019 : GT « conservatoires » du CCTDC qui acte le principe et la méthodologie de révision de la procédure et des critères de classement ;
  • Septembre 2019 ; Mise en place étude d’impact avec :
    • Enquête en ligne par la DGCA (décembre 19 à janvier 2020) ;
    • Réunions de travail avec le CCTDC, les associations professionnelles et les organisations syndicales ;
    • Novembre-janvier : Rencontres sur site auront lieu, réunissant les professionnels des conservatoires, leurs représentants au sein des organisations syndicales, des représentants d’associations, les collectivités territoriales et les services de la DRAC et de la DGCA.
  • Février 2020, les résultats de l’étude « devaient » être rendus publics par le ministère de la Culture…

Certes, la crise sanitaire n’a pas facilité les choses14, mais la question d’un manque de portage politique peut légitimement se poser au regard de la suite des évènements. En effet, si une bonne partie de l’étude d’impact a pu se réaliser, les résultats, même partiels, n’ont jamais été transmis, pas même aux territoires et aux établissements concernés, mettant ainsi brutalement fin à quatre années de mobilisation pour de nombreux partenaires.

Une fois la période critique de la Covid passée et la situation redevenant plus normale, le Chef du bureau des enseignements spécialisé et supérieur de la DGCA — exit la tutelle du bureau des pratiques et de l’éducation artistique et culturelle —, informait certaines associations professionnelles de l’actualisation très prochaine du Schéma national d’orientation pédagogique (SNOP). Se confirmera alors, dès les premiers échanges, l’ajournement pur et simple du projet de réforme initié fin 2015.

À SUIVRE ! Arrêté de classement [#2] ♦ 2022-2024


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  1. Conservatoire national de région
  2. École nationale de musique
  3. Conservatoire à rayonnement régional
  4. Conservatoire à rayonnement départemental
  5. Cycle professionnel d’enseignement initial
  6. Une trentaine de millions d’€ correspondant à l’action n°3 du programme 224 : « Soutien aux établissement d’enseignement spécialisé ».
  7. Nous sommes en 2015 ; on compte aujourd’hui 44 CRR et 96 CRD.
  8. Une réforme restée « au milieu du gué », telle était l’analyse faite, déjà…!, par Catherine MORIN DESAILLY, sénatrice de la Seine-Maritime, dans son Rapport d’information en date du 9 juillet 2008.
  9. La question a été à nouveau évoquée lors de la création de la nouvelle délégation générale à la transmission, aux territoires et à la démocratie culturelle (DG2TDC) mais, et on peut le regretter, a été tranchée en confirmant le positionnement des conservatoires au sein de la Sous-direction des enseignements spécialisé et supérieur et de la recherche.
  10. En déposant une demande spécifique d’agrément.
  11. Pour la danse, p. 40.
  12. Accord de proximité pour échapper au diktat du masculin ; un usage courant au XVII° siècle.
  13. Question écrite de Jean-Jacques Lozach, n° 1521, JO du Sénat du 22 mars 2018.
  14. Le premier confinement a été déclaré le 17 mars 2020.

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